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Le contrat conclu après la vente d’un tableau, qui prévoit la réalisation d’une expertise et le paiement d’un complément de prix par les acquéreurs d’un tableau en cas d’authentification, produit ses effets même plus de dix ans après la vente.

L’héritier des acquéreurs est tenu à l’égard du vendeur du tableau du paiement de ce complément de prix en cas d’authentification conforme aux dispositions contractuelles.

Les ventes d’œuvres d’art, lorsqu’elles sont entourées d’une incertitude concernant l’auteur de l’œuvre, peuvent être accompagnées de la conclusion d’un contrat qui prévoit la réalisation d’une expertise afin d’authentifier l’œuvre d’art. L’authentification peut alors permettre le paiement d’un complément de prix au profit du vendeur. C’est ce cas de figure qui a donné lieu à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 11 mai 2023.

Dans cette affaire, en février 2004, un tableau anonyme intitulé « jeune garçon au chien » décrit comme étant de l’école française et datant des années 1850-1860 a été vendu au prix de 380 000 euros.

Un mois après la vente, le vendeur et les acheteurs de ce tableau ont conclu un « contrat en vue de la réalisation d'une expertise pour l'authentification d'une œuvre d'art et du paiement d'un complément de prix ».

Ce contrat confiait à un tiers la constitution d’un dossier d’expertise visant à authentifier le tableau qui devait être présenté à des spécialistes de Manet, de la peinture impressionniste ainsi qu’à des historiens de l’art et ce, en vue de la réalisation d’une expertise. Le contrat prévoyait également qu’en cas d’avis positif sur l'authenticité du tableau par au moins un spécialiste qui publierait un article dans une revue spécialisée, les acquéreurs, considérant alors qu'ils sont en possession d'un authentique tableau de Manet, verseront au vendeur du tableau la somme de 1 525 000 euros à titre de complément de prix qui viendrait s’ajouter à la somme de 380 000 euros déjà versée.

Plus de dix années après la vente, en décembre 2015, un historien de l’art a examiné le tableau et a conclu qu’il était « sans doute possible de Manet ». Il a accepté de rédiger un article publié dans une revue et dans lequel il faisait état de cette découverte.

Le vendeur a ensuite sollicité le paiement du complément de prix à l’héritier de l’acquéreur du tableau, qui en est devenu propriétaire au moment du décès de l’acquéreur en 2017 et à qui il succède dans l’exécution du contrat.

À la suite du refus de ce dernier de procéder au paiement du complément de prix, le vendeur a assigné l’héritier de l’acquéreur en exécution forcée du contrat et en paiement du complément de prix. Le tribunal judiciaire a fait droit à ses demandes par un jugement en date du 5 mars 2020 dont l’héritier de l’acheteur a interjeté appel.

Le litige porte donc sur l’interprétation du contrat et sur ses conséquences relativement au paiement du complément de prix.

I. L’interprétation des dispositions contractuelles portant sur la réalisation de l’expertise

À titre liminaire, il convient de préciser que le contrat litigieux date du 10 mars 2004 et reste donc soumis aux dispositions du Code civil antérieures à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
Dans le prolongement de la vente du tableau, les parties avaient prévu au sein du contrat intitulé « contrat de réalisation d’une expertise en vue de l’authentification d’une œuvre d’art » la constitution d’un dossier d’expertise qui était confiée à un expert moyennant paiement d'honoraires à hauteur de 20 000 euros HT, l’allocation d’un budget pour l’expertise de 50 000 euros, puis l'organisation de l'expertise pour des honoraires allant jusqu’à 7 000 euros HT.

Ce dossier devait notamment comprendre des photographies couleurs du tableau, des gros plans de la couche picturale, une ou plusieurs études scientifiques du tableau comprenant l’analyse de la couche picturale, des radiographies du tableau et des expertises scientifiques du tableau confiée à des spécialistes de la peinture du XIXème siècle.

Le résultat de cette expertise conditionnait le paiement du complément de prix, le contrat prévoyant que « le résultat de l'expertise menée sera considéré comme positif si un avis favorable sur l'authenticité du tableau est donné de la part d'au moins un spécialiste ». Il était également stipulé que « ceux qui auront reconnu un authentique tableau de Manet seront invités à rédiger un article qui sera destiné à être publié ».

En décembre 2015, soit plus de dix ans après la vente, un historien de l’art s’est rendu au domicile de l’acquéreur afin d’examiner le tableau. Il a estimé que cette peinture était, « sans aucun doute, de Manet » et a ensuite accepté de rédiger un article en vue d’une publication dans une revue, en l’espèce la revue Prussian Blue afin de faire état de sa découverte. Le vendeur a donc considéré qu’il était fondé à recevoir le paiement du complément de prix.

À l’inverse, l’héritier de l’acquéreur, es qualité de légataire universel, estimait que les deux conditions cumulatives prévues par le contrat qui subordonnent le versement au vendeur du complément de prix n’étaient pas remplies.

Il soutenait que ces conditions sont, d'une part, l'avis favorable et « suffisant » portant sur l'authenticité du tableau de la part d'au moins un spécialiste et, d'autre part, la publication d'un article confirmant cette authenticité dans une revue spécialisée. Il affirmait également que la commune intention des parties était de déterminer si Manet était ou non l’auteur du tableau et que cela nécessitait une authentification par une autorité de référence sur le marché de l’art.

Selon lui, aucune de ces deux conditions n’était remplie. S'agissant de l'expertise, il rapporte que l’acquéreur du tableau avait toujours remis en cause la qualité d’expert de la personne qui a authentifié le tableau et considère que la revue dans laquelle l’article de l’expert a été publié n’est pas spécialisée et n’a « aucune autorité ni reconnaissance » en la matière.

Ainsi, il estime qu’il existe un déséquilibre dans l’économie générale du contrat, les acquéreurs étant privés de contrepartie réelle en échange du versement du complément de prix qui consisterait selon lui dans l’authentification reconnue de l’œuvre qui ferait augmenter la valeur du tableau. Or, il estime que l’expertise réalisée ne constitue pas une telle contrepartie.

Par conséquent, le tribunal aurait fait une mauvaise interprétation des dispositions contractuelles en le condamnant au paiement du complément de prix.

Sur l’interprétation des contrats, la cour d’appel rappelle qu’il résulte de l’ancien article 1156 du Code civil que le juge doit rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes. De plus l’ancien article 1134 précise que « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

Tout d’abord la cour d’appel considère que le contrat a été respecté par la personne chargée de la réalisation du dossier d’expertise.

S’agissant de la condition tenant à la publication de l’avis favorable dans une revue spécialisée, l’appelant avance que l’objectif de cette démarche était de dévoiler le résultat de l’avis aux tiers et « particulièrement aux personnalités du monde de l’art » afin d’instiller l’idée au sein du marché de l’art que le tableau était de Manet.
La cour d’appel souligne que la clause du contrat a seulement pour effet « d'inviter » les auteurs d'un avis positif à rédiger un article. En outre, la cour d’appel observe que « le contrat n’a pas autrement précisé la nature des revues dans lesquelles les publications étaient autorisées ». Ainsi aucune exigence n’avait été fixée quant à la quantité de tirage ou la présence d’un comité technique au sein de la revue.

La cour d’appel considère donc qu’au regard de l’ensemble de ces éléments, la publication dans une revue spécialisée n'était pas une condition du versement du complément de prix contrairement à ce que soutient l’appelant. Ainsi, le complément de prix qui n’était conditionné que par l’existence d’un avis positif sur l’authenticité de l’œuvre doit être versé.

Par ailleurs les juges observent que les acheteurs étaient des professionnels avertis car ils étaient propriétaires de nombreuses œuvres d’art et étaient également des mécènes et des hommes d’affaires.
Les juges notent également que l’acheteur « savait que le catalogue raisonné du peintre était figé depuis de longues années et qu’il avait choisi de poursuivre « l’expertise » malgré la fin de non-recevoir opposer par l’expert de référence […] ».

La cour d’appel en déduit donc qu’« en signant un tel contrat, ils avaient donc parfaitement conscience de la portée de leur engagement et de ce qu'ils recherchaient ».

La cour d’appel confirme donc la décision du tribunal judiciaire de Paris du 5 décembre 2020 en ce qu’elle a « retenu, sur le fondement de l’ancien article 1156 du Code civil que l’intention des acheteurs, était exprimée de manière claire dans le préambule du contrat » et considère que l’interprétation du contrat conduisant au paiement du complément de prix est conforme à l’intention initiale des parties.

Au regard de tous ces éléments, se pose alors la question des conséquences de ces dispositions contractuelles sur le bien-fondé de l’action en paiement du complément de prix formée par le vendeur.

II. Sur le paiement du complément de prix à la suite de l’authentification du tableau

L’essence du contrat était de faire réaliser une expertise en vue d’authentifier un tableau.

Dans l’hypothèse d’un avis positif, la publication dans une revue était contractuellement prévue afin d’introduire l’idée sur le marché par un avis favorable puis par une publication que le tableau était de Manet et ce, en vue de faire monter sa côte. Ce procédé se justifiait par le fait que l’acquéreur « avait parfaitement connaissance du refus constant et catégorique de l’Institut Wildenstein d’inclure l’œuvre dans le catalogue raisonné de Manet, fermé depuis plus de cinquante années ».

Le catalogue raisonné du peintre étant figé depuis de nombreuses années et l’acquéreur du tableau s’étant vu opposé une fin de non-recevoir par l’expert de référence de Manet, le but du contrat était « d’introduire sur le marché de l’art l’idée selon laquelle le tableau était de Manet ».

L’objectif n’était donc pas de faire reconnaître le tableau comme un tableau de Manet par l’ensemble de la communauté des professionnels de l’art. En effet, le complément de prix était sans commune mesure avec le prix potentiel du tableau s’il avait été reconnu par tous comme étant un tableau de Manet.

Par ailleurs, l’intimé soutient que si l’acquéreur, en tant que professionnel averti, avait souhaité que le tableau soit reconnu par l’ensemble des professionnels de l’art comme étant de Manet, celui-ci aurait exigé une authentification officielle ainsi qu’une publicité particulière. 

L’objectif n’était donc pas de parvenir à un consensus sur l’authenticité de l’œuvre, ce qui explique « « qu’aucune certitude scientifique n’a été atteinte que ce soit pour affirmer ou infirmer de manière certaine qu’il s’agit d’une œuvre par Manet ». L’avis positif sur l’authenticité devait dès lors simplement permettre une valorisation de l’œuvre.

Afin d’y parvenir, les parties avaient expressément choisi de se contenter d’un seul avis favorable et d’espérer une publication dans une revue. Cet avis favorable devait émaner d’une personne répondant à la qualification de spécialiste selon les termes du contrat.

Sur ce point, le contrat prévoit que les parties confèrent cette qualité de spécialiste à des spécialistes du peintre et de la peinture impressionniste ainsi qu’à des historiens de l’art. Or, la personne ayant attribué le tableau à Manet est historien de l’art, professeur d’histoire de l’art et auteur d’essais sur l’histoire de l’art notamment sur l’impressionnisme. Par conséquent, selon la cour d’appel, cette personne avait toutes les qualités requises pour être considéré comme un spécialiste au sens du contrat. Dès lors la contestation de l’appelant tenant à remettre cause sa qualité de spécialiste en avançant « qu’il n’a été qu’un choix par défaut » est inopérante.

En outre, la cour d’appel relève que le processus de la constitution du dossier d’expertise a été réalisé dans le respect des dispositions contractuelles qui prévoient notamment que « l’expertise aura pour support le dossier préalablement établi qui sera présenté à des spécialistes du peintre et de la peinture impressionniste ainsi qu’à des historiens de l’art » choisi par la personne chargée de l’expertise. Ensuite, ces spécialistes « devaient après avoir personnellement vu le tableau donner leur avis écrit ». Il était également précisé que « ceux qui auront reconnu un authentique tableau de Manet seront invités à rédiger un article qui sera destiné à être publié ».

En l’espèce, la personne chargée de cette mission a effectivement présenté à de nombreux spécialistes le dossier d’expertise, certains d’entre eux se sont déplacés pour voir le tableau, ce qui est notamment le cas de l’historien de l’art ayant donné un avis positif à l’attribution du tableau à Manet qui a ensuite publié un article dans la revue Prussian Blue distribuée dans les kiosques français, belges et suisses et vendue dans des musées, librairies et galeries.

De surcroît, la publication de cet article dans une revue spécialisée avait été soumise à l’approbation de l’acheteur du tableau. La cour d’appel considère également que le fait que la rédaction de cet article ait été rémunérée par l’acheteur « démontre qu’il avait admis que cette personne répondait à la définition du spécialiste apte à donner un avis positif telle que prévue au contrat et qu’il acceptait cet avis positif ».

Le versement du complément de prix était donc conditionné uniquement par le résultat positif de l’expertise caractérisée par l’existence d’un avis favorable sur l’authenticité du tableau d’au moins un spécialiste.
Par ailleurs, la cour d’appel précise également le contrat n’exigeait pas que cet avis « présente la forme d’un document technique et analytique de la part du spécialiste ». Dès lors, les conditions posées par le contrat pour le paiement du complément de prix sont remplies en l’espèce.

C’est pourquoi la cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal judiciaire en ce qu’il a condamné l’héritier de l’acheteur à verser au vendeur la somme de 1 525 000 euros en complément de prix du tableau. Le tableau étant devenu sa propriété à la suite du décès des acheteurs, c’est donc lui qui était tenu d’assurer l’exécution du contrat quand bien même il n’était pas partie au contrat.

L’héritier de l’acheteur du tableau subit donc la faiblesse des exigences fixées dans le contrat relatives à la condition donnant lieu au paiement du complément de prix.  Subordonner ce paiement à l’existence d’un seul avis positif favorable à l’attribution du tableau à Manet était assez risqué et sans doute les conditions fixées au contrat pour le paiement du complément de prix n’étaient pas assez précises et encadrées.
L’héritier de l’acquéreur souffre donc de l’absence d’encadrement dans le temps de la réalisation de l’expertise, le contrat ne prévoyant aucune limite temporelle pour la réalisation de celle-ci.
Par conséquent au décès des acquéreurs du tableau, les obligations contractuelles ont été transmises à leur héritier qui est donc condamné à payer le complément de prix.

Il convient d’observer également qu’aucune condition de valeur du tableau n’avait été insérée au contrat pour le paiement du complément du prix qui apparaît également disproportionné au regard des conséquences de la réalisation de l’expertise sur la valeur du tableau. Les dispositions contractuelles apparaissent donc très favorables au vendeur.

Malgré ce déséquilibre de l’économie générale du contrat, la cour d’appel a néanmoins statué en faveur du vendeur faisant une application stricte des dispositions contractuelles.
Il semble donc que le montant du complément de prix puisse être librement déterminé par les parties et que les juridictions n’exercent que peu de contrôle quant aux conséquences que cela peut avoir sur l’économie générale du contrat.

Par ailleurs, s’accorder sur le montant d’un complément de prix peut être un moyen pour les parties d’éviter un litige à la suite de la découverte du véritable auteur du tableau postérieurement à la vente.

Ce fut le cas en 1997 concernant une œuvre de Laurent de la Hyre, peintre et graveur français du XVIIème siècle. Un particulier avait vendu à son frère, propriétaire d’une galerie d’art, un ensemble de seize tableaux pour une somme totale de 250 000 000 de francs. Quelques jours après la vente, un commissaire-priseur, qui avait accompagné le vendeur lors de la vente d’autres biens attire son attention sur le fait que la peinture comprise dans le lot des seize tableaux est de Laurent de la Hyre dont la valeur oscillerait entre 1 000 000 de francs et 1 500 000 francs.  Le vendeur a renoncé à l’action judiciaire qu’il avait envisagé afin de faire expertiser le tableau et a préféré conclure un accord avec son frère par lequel ce dernier s’engageait à lui verser « un complément de prix  […]  d’un montant total et forfaitaire de 950 000 francs ».

La cour d’appel, dans un arrêt du 7 octobre 2003 [1] , a confirmé que cet accord était bien une transaction car l’accord « était intervenu afin de prévenir tout litige ». 

Cette pratique peut donc permettre de constituer une alternative à un long processus judiciaire d’expertises visant à établir l’authenticité d’une œuvre. Néanmoins, la détermination de son montant est primordiale pour éviter que, comme dans les faits de cette espèce, le vendeur découvre lors d’une vente postérieure que la véritable valeur de l’œuvre était bien supérieure au complément de prix contractuellement prévu. En effet, le tableau de Laurent de Hyre avait finalement été revendu pour un prix de 16 000 000 de francs alors que le complément de prix avait été fixé à 950 000 francs ce qui avait poussé le vendeur à agir en justice en nullité de la vente. Son action a néanmoins été rejetée par la cour d’appel de Paris.

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Réf. : CA de Paris, 4-9, 11 mai 2023, n° 20/06696 
Auteur : Béatrice Cohen, Avocate au Barreau de Paris, BBCAVOCATS, Membre de l’Institut Art & Droit
[1]CA Paris, 7 octobre 2003, n° 2003/07266
Publié le
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