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Créatives, déterminées… Les femmes commissaires-priseurs, depuis la loi de 1924 les autorisant à exercer la profession, ont dû lutter contre une vision patriarcale du métier et innover dans leur approche, au point d’attirer de plus en plus de consœurs. En 2022, elles représentaient même 60 % des diplômés. La proportion hommes-femmes finira-t-elle par s’inverser ?

Chloe Collin - Margaux Serrano
Chloë Collin et Margaux Serrano, commissaires-priseurs

Sur les 709 commissaires-priseurs habilités en France au 28 décembre 2022, 245 étaient des femmes, soit 34,6 %. Vingt ans auparavant, elles étaient presque trois fois moins, soit 12,5 % sur les 438 commissaires-priseurs habilités. À l’instar de l’ensemble des professions juridiques, le métier se féminise donc, comme le montre chaque année la part des jeunes diplômés commissaires-priseurs. En 2022, sur les 32 lauréats, les femmes représentaient 60 % des diplômés. Si la proportion hommes-femmes tend donc à s’inverser, le phénomène résulte néanmoins d’une lente évolution. Bien que la loi ouvrant la profession aux femmes ait été promulguée le 20 avril 1924, la toute première femme commissaire-priseur, Paule Godinot, ne fut nommée que quatre ans plus tard, à Chaumont, à la suite de son défunt mari. À Paris, Chantal Pescheteau-Badin, elle-même fille et petite-fille de commissaire-priseur, fut la première nommée, en 1977 seulement, la capitale accusant étonnamment un retard d’un demi-siècle vis-à-vis de la province. Un écart aujourd’hui largement rattrapé puisque sur 245 femmes commissaires-priseurs, 46,1 % travaillent actuellement à Paris et en Île-de-France, contre 53,9 % dans le reste de la France. « Les aspirantes commissaires-priseurs s’inscrivaient à l’époque en province pour ne pas être retoquées, nous confie Chantal Pescheteau-Badin. Quand j’ai présenté mon dossier à Paris, il a été refusé une première fois. » Heureuse d’avoir ouvert la voie, sans en faire un combat féministe, elle tape sa première vente en 1977 devant un parterre de journalistes. « Si les femmes étaient peu admises, c’était en raison de la responsabilité. À l’époque, les commissaires-priseurs étaient responsables, sur leurs biens personnels, des dettes des confrères. Or peu de femmes étaient financièrement indépendantes. » S’il faut acheter une charge pour devenir commissaire-priseur, aucune condition de diplôme n’est imposée aux candidats jusqu’en 1973. Un stage de trois ans est en revanche demandé. Puis, jusqu’en 1987, une simple capacité en droit suffit, avant que l’histoire de l’art vienne compléter la formation universitaire. Là encore, Chantal Pescheteau-Badin est précurseur : « J’ai tenu à avoir les deux diplômes. On ne pouvait donc pas m’opposer une supposée méconnaissance en matière d’art. À ma nomination, je n’ai plus eu d’entrave. Ce statut d’officier ministériel était tout à fait protecteur pour moi. » Elle qui, dans l’enfance, s’est émerveillée devant les bijoux de Mistinguett que son père a vendus, a innové également par ses ventes thématiques et sa sensibilité. « J’ai été plus bienveillante à l’égard des clients, loin du fossé hiérarchique qui pouvait exister », confie celle qui a trouvé en son troisième fils, Brice Badin, un digne successeur. Le sens de l’écoute est d’ailleurs le point commun soulevé par toutes les femmes commissaires-priseurs ici interrogées.

Dans l’aventure en duo

Ce sens de l’écoute a pris un caractère décisif pour Pauline Maringe et Géraldine Martres, fondatrices en 2018 de la maison de ventes toulousaine Artpaugée, dans la découverte d’une œuvre qui figure parmi les meilleures ventes mondiales en maîtres anciens de 2022. Lors d’un inventaire pour assurance, un propriétaire dévoile une pile de tableaux où Pauline Maringe détecte une rareté. Expertisé par le cabinet Turquin, le panneau de chêne peint s’avère être le pendant d’une œuvre conservée au Louvre Abu Dhabi. Estimé entre 600 000 et 800 000 euros, l’Ange vêtu d’une tunique jaune tenant un encensoir, exécuté en 1520 par Bernhard Strigel, a été acquis par ce même musée pour 3 472 000 euros frais compris, le 4 février 2022, un record mondial pour cet artiste doublé d’une forte visibilité pour Artpaugée !
En 2022, sur les 630 dirigeants, un quart sont des femmes s’étant parfois associées, telles que Catherine Allemand et Estelle N’Guyen-Hong, chez Artus Enchères, toutes deux formées à l’évaluation et à la vente du matériel industriel. Parmi celles qui se sont lancées en duo l’an passé, Salomé Pirson et Marie-Laurence Tixier ont fondé Maurice Auction, du prénom de l’éminent commissaire-priseur Maurice Rheims. « Nous sommes persuadées qu’il y a une place pour des maisons de ventes indépendantes, plus petites et agiles. La digitalisation permet cette souplesse, le tout boosté par la place très importante qu’a repris Paris dans l’ère post-Brexit et post-Covid », explique Marie-Laurence Tixier qui, après avoir dirigé le département joaillerie de Christie’s de 2008 à 2019, fut expert-référent pour les pierres de couleurs chez Cartier. « Cette expérience m’a ouvert des perspectives. J’ai adoré travailler pour cette vision "retail", du sourcing au client final. Le métier de commissaire-priseur me manquait toutefois. Avec Salomé, qui a fait HEC et que j’apprécie pour son regard 360, nous nous sommes lancées dans l’aventure. » Le duo a même dépassé ses prévisions pour cette première année, fort du soutien de collectionneuses. « Nous croyons beaucoup en la solidarité féminine. Nous nous consultons entre consœurs sur certains dossiers, avec Elsa Joly-Malhomme, par exemple », raconte Salomé Pirson qui participe, avec cette dernière, à l’émission Affaire conclue sur France 2. « Cette émission permet de rendre accessible un métier qui souffre encore de nombreux a priori. » 

Le goût du challenge

Dans sa jeunesse, Elsa Joly-Malhomme pensait d’ailleurs cette profession inaccessible. Après des études en histoire de l’art et à HEC, elle rejoint la Fondation EDF, puis Christie’s, dont elle devient directrice du département marketing de 1997 à 2003, l’année 2000 marquant la première vente en France de la maison anglo-saxonne. À l’issue de son troisième congé maternité, elle reprend ses études, réussit l’examen de commissaire-priseur, tout en conciliant un quatrième bébé avec sa formation. Aujourd’hui à la tête d’une famille de cinq enfants, elle a fondé en 2019 Ader Entreprises et Patrimoine, première maison de ventes dédiée aux entreprises et institutions, adossée à l’étude Ader Nordmann et Dominique. « Nous avons déjà fait 62 ventes depuis 2019, raconte-t-elle. Nous avions un produit de vente à 500 000 euros la première année. Nous avons atteint 5 millions en 2022 avec les ventes des deux tables de Jean Prouvé trouvées dans les sous-sols du Crous à Versailles, pour près de 4 millions, un record mondial. Nous valorisons ainsi un mobilier qui encombre les entreprises. L’argent gagné est la plupart du temps investi dans des projets solidaires. » En 2021, Elsa Joly-Malhomme a été récompensée pour son parcours par le prix Trajectoire-HEC au féminin. « L’audace est très importante pour moi. Il faut oser, ne pas se mettre de barrières mentales. Je pense aussi souvent à ma tante, Sylvie Joly, qui a été pionnière dans les one woman shows. Les enchères sont comme un théâtre. » 
Victoire Gineste, chez Christie’s depuis 2011, parle aussi d’improvisation. « On ne connaît jamais à l’avance le script d’une vente », répond-elle à ceux déplorant que le dessin inédit de Michel-Ange, passé sous son marteau le 18 mai 2022, n’ait pas atteint les 30 millions. « Avec ses 23 162 000 euros, frais compris, c’est un record du monde pour un dessin de l’artiste. Il me semble que les esprits chagrins perdent un peu pied. Il n’y avait rien de comparable sur le marché », commente celle qui, à 38 ans, fut également chef de projet et commissaire-priseur sur la vente de la collection d’Hubert de Givenchy. Elle est l’un des rares marteaux à n’avoir tapé que chez Christie’s. « Vous vous y retrouvez très vite avec des enjeux financiers importants. Ils m’ont fait confiance en m’embauchant six mois après l’obtention de mon diplôme, et m’ont aidée à trouver mon propre style. Dès le début, j’ai considéré l’opportunité d’avancer plus vite dans une maison anglo-saxonne. »

Passionnées et passionnantes

À Rennes, Carole Jézéquel, commissaire-priseur depuis 2001, dirige aujourd’hui une équipe exclusivement féminine, qui comptait six collaboratrices en décembre 2022. Passionnée, elle explique : « Nous ne faisons pas qu’estimer et vendre, nous sommes aussi acteurs culturels d’une région. C’est pourquoi nous proposons chaque année des événements, comme Nature et Merveilles en février 2022 qui a accueilli 2 500 visiteurs en quatre jours. » À 25 ans, Eugénie Le Graët, l’une de ses stagiaires commissaire-priseur, aspire d’ailleurs à rester à Rennes. « S’intégrer dans un milieu culturel, auprès d’une clientèle, prend des années. Avec Carole, notre projet est de continuer ensemble le plus longtemps possible. » Carole Jézéquel confirme : « C’est long de se faire un nom. Eugénie va déjà en rendez-vous seule et je sens que le marteau la démange ! » L’engouement de Carole Jézéquel est communicatif, comme en témoigne également Chloë Collin, commissaire-priseur habilité depuis 2021 chez FauveParis. « Je me baladais à Rennes lorsque j’ai vu maître Jézéquel orchestrer une vente dans son hôtel. J’ai eu une révélation ce jour-là. Cette profession alliait tout ce que j’aime : l’art, les objets, l’histoire, l’humain et le théâtre. » Cette ancienne du Conservatoire d’art dramatique de Bretagne et du Cours Florent communique, elle aussi, son amour du métier et sa fantaisie à travers son compte Instagram @lasaintglinglin qui a récemment dépassé les 11 600 followers. « Depuis que j’ai commencé ces vidéos sur le monde des enchères, plusieurs personnes m’ont remerciée de leur avoir fait franchir le pas. Je réponds aussi chaque jour à des étudiants au sujet de la formation de commissaire-priseur. Je suis vraiment ravie de donner envie de faire ce métier. » La relève est assurée.

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Par : Marie-Émilie Fourneaux - Focus extrait du Bilan des enchères 2022 édité par Beaux-arts et le CVV.

Publié le
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