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Colloque NFT halle
Colloque "NFT, évolution ou révolution dans le monde de l'art" - Mars 2022

Marques, brevets, noms de domaine, fonds de commerce… Avec la nouvelle loi de modernisation du marché de l’art, promulguée en février 2022, les biens incorporels ont fait leur entrée dans le monde des enchères volontaires, NFT en tête. Une réforme demandée de longue date par la profession et saluée comme une évolution importante dans le domaine de la régulation des enchères volontaires en ouvrant de nouvelles perspectives dans un domaine jusque-là réservé aux ventes aux enchères judiciaires. 

Promulguée le 28 février 2022, la loi de modernisation n° 2022-267 redessine les contours réglementaires d’un marché de l’art confronté à une déferlante de nouvelles technologies et répond par la même occasion aux demandes émises de longue date par la profession. Parmi les évolutions de la loi, la possibilité pour les commissaires-priseurs volontaires de vendre des biens incorporels. Licences, brevets, marques, noms de domaine, part sociale, base de données mais aussi droits de propriété intellectuelle ou encore les désormais incontournables NFT (non fungible tokens ; en français : jetons non fongibles) sont ainsi concernés. 

La nouvelle loi, qui fait suite à cinq ans de discussions et deux ans de navettes parlementaires, répond par ailleurs à un déséquilibre qui subsistait depuis la loi Macron de 2015. Cette dernière ouvrait officiellement la possibilité d’organiser des ventes de biens incorporels aux commissaires-priseurs judiciaires, « la valorisation des droits incorporels étant devenue essentielle dans le cadre des procédures de poursuites, de successions ou encore des mesures de protection dont ils sont chargés », explique Marine Le Bihan, avocate au Barreau de Paris. Or, ce faisant, cette ancienne loi créait « une situation de dissymétrie en défaveur des commissaires-priseurs volontaires », selon Henriette Chaubon, conseillère à la Cour de cassation honoraire et Édouard de Lamaze, avocat et ancien délégué interministériel aux professions libérales.

Des noms de domaine aux droits d’auteur : des possibilités multiples

« Selon le nouvel article L. 320-1 du Code de commerce, en vigueur depuis le 2 mars 2022, les commissaires-priseurs peuvent organiser des ventes volontaires de meubles, "sous réserve des dispositions particulières à la vente de certains meubles incorporels", détaille Marine Le Bihan. Les biens incorporels peuvent donc désormais être vendus aux enchères volontaires, à quelques exceptions près. Et pour savoir quelles sont ces exceptions, il faut se référer aux débats parlementaires. »

Parmi les incorporels exclus des ventes volontaires, on retrouve notamment les biens incessibles comme les droits attachés à la personne tels que le droit moral des auteurs ou les biens dont la vente présente un caractère intuitu personae soumis à autorisation ou agrément des pouvoirs publics, comme les droits d’exploitation d’un débit de tabac, les offices publics ou ministériels mais aussi les titres financiers qui s’échangent sur un marché spécifique. « Il faut surtout distinguer les différents types d’actifs incorporels, selon qu’ils soient professionnels ou non professionnels, car ils présentent des enjeux très différents », nuance Marc-Olivier Bernard, associé et directeur général de la maison de ventes Boischaut qui a organisé une dizaine de ventes d’incorporels en 2022 – dont la première vente aux enchères volontaires d’une marque en France – allant des noms de domaine pour les métiers du bâtiment à un manuscrit d’auteur sur Word, en passant par des vacations de NFT dédiées au street art ou à la scène artistique algérienne. « Pour la vente de noms de domaine, par exemple, les enchères réglementées permettent de créer potentiellement un marché plus dynamique et plus fiable que celui des ventes de gré à gré », ajoute ce polytechnicien féru de nouvelles technologies.
En dehors du cadre judiciaire, comme celui d’une liquidation, les ventes volontaires de marques peuvent devenir un levier économique pour les entreprises. « Les ventes volontaires peuvent permettre de sortir une marque du portefeuille en cas de non-exploitation par la société ou d’estimer sa valeur, explique Lucie Tréguier, avocate à la Cour et spécialiste en droit de la propriété intellectuelle. Aux enchères volontaires, c’est le marché qui décide. » 

Autre point réformé par la loi : les droits patrimoniaux des auteurs peuvent désormais être cédés en ventes volontaires. « Jusqu’à présent, l’acheteur d’une œuvre d’art aux enchères devenait propriétaire du bien corporel, mais pas des droits d’auteur associés. C’est simple, mais souvent oublié, constate Lucie Tréguier. Avec cette loi, les droits moraux, incessibles, ne pourront pas être cédés aux enchères volontaires, mais les droits patrimoniaux, tels que les droits de reproduction, oui. Dissocier les droits d’auteur de l’œuvre corporelle auxquels ils sont attachés est un sujet de droit très intéressant. Je suis curieuse de voir son application en salles de ventes. »

Les NFT, ovnis technico-juridiques

Cette question des droits d’auteur est un sujet crucial notamment dans le cadre des NFT puisque l’on n’achète ni le support matériel, ni la propriété intellectuelle de l’œuvre, mais une sorte de certificat, un jeton qui est associé à un bien sous-jacent, que ce soit une œuvre d’art ou autre chose. « Les NFT sont infalsifiables, mais la sincérité des NFT, c’est un autre débat, souligne Lucie Tréguier. Les maisons de ventes vont devoir mettre leurs conditions générales à jour, car des questions de responsabilités se posent. Un NFT peut être créé même si la personne qui l’ancre dans la blockchain n’est pas titulaire des droits d’auteur portant sur l’œuvre, ce qui s’apparente à de la contrefaçon. »
Remis au Conseil des ventes volontaires en janvier 2022, le rapport Barthalois préconisait de préciser le régime juridique propre aux NFT, tout en poursuivant la libéralisation des ventes volontaires en les étendant aux incorporels. Quelques mois plus tard, le flou demeure quant à la qualification de ces ovnis technico-juridiques. Pour le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), ils ne s’apparentent ni tout à fait à un jeton tel qu’il est défini par le Code monétaire et financier, ni à une œuvre d’art au sens du Code de la propriété intellectuelle. L’encadrement réglementaire des ventes d’art NFT soulève plus de questions qu’elle n’en résout, mais la loi de février 2022 constitue une avancée significative pour le marché de l’art, en particulier numérique.

Dans la pratique, les maisons de ventes doivent ouvrir un portefeuille de cryptomonnaies pour enregistrer les transactions NFT. Rares ont été les ventes de biens incorporels organisées depuis la promulgation de la loi. « Cette nouvelle manière de vendre de l’art bouscule le métier, apporte de la complexité et pose toute une série de problématiques concrètes aux commissaires-priseurs qui ont l’habitude de gérer des œuvres corporelles, des TVA à taux réduit, des droits de suite, du stockage, etc., constate le commissaire-priseur Romain Verlomme-Fried, spécialiste des NFT. Il faut mettre en place de nouvelles procédures, de nouvelles conditions de vente, de nouvelles assurances. C’est une révolution lente. »

Des ventes de NFT encore timides

Avec quelques contorsions juridiques, certaines maisons ont décidé de sauter le pas. En février 2022, Aguttes, qui avait déjà mis en vente le premier SMS de l’histoire adjugé 132 000 euros, participait à une foire d’art NFT qui s’est clôturée aux enchères dans le Métavers – monde virtuel. Le mois suivant, la maison parisienne Fauve lançait sa vacation NFT. « Des obstacles juridiques subsistaient, se souvient Joséphine Louis, spécialiste NFT de cette vente de cryptoart qui a enregistré 120 000 euros de résultat pour deux tiers des lots vendus. Nous avons créé un dispositif avec un certificat papier qui apportait une matérialité pour que la vente entre dans le cadre de la loi, mais nous n’avons pas souhaité rendre tangibles les œuvres. Notre objectif était aussi – et surtout – d’inciter les collectionneurs d’art à acheter des NFT. » 
« Les biens incorporels que vont pouvoir vendre les commissaires-priseurs sont finalement peu nombreux si l’on s’en tient au seul commerce de l’art », résume Marine Le Bihan. Il s’agit, pour l’heure, principalement des NFT et des droits patrimoniaux des auteurs. 

Il ressort d’une enquête menée par le CVV en janvier 2023 auprès des maisons de ventes que seul 20% des opérateurs envisage de vendre des biens incorporels en volontaire au cours de l’année 2023. « L’objectif de l’ouverture des ventes volontaires aux biens incorporels était de stimuler l’activité des maisons de ventes françaises de façon générale, et pas seulement sur le marché de l’art, et de répondre à un réel besoin, notamment des entreprises, pour valoriser leurs actifs, poursuit-elle. Mais il est vrai que, davantage que les fonds de commerce ou les marques, les commissaires-priseurs se sont montrés surtout enthousiastes au sujet des NFT. » Un intérêt marqué, certes, mais encore timide sous le marteau.

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Par : Carine Claude - Focus extrait du Bilan des enchères 2022 édité par Beaux-arts et le CVV.

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