Décision du Président du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques n° DP 2020-84 du 13 novembre 2020 relative à la suspension provisoire de l’exercice de l’activité d’un Opérateur de ventes volontaires
Le président,
Vu le code de commerce et notamment son article L. 321-22 qui dispose, en ses alinéas 7 à 9 : « En cas d'urgence et à titre conservatoire, le président du conseil peut prononcer la suspension provisoire de l'exercice de tout ou partie de l'activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques d'un opérateur ou d'une personne habilitée à diriger les ventes.
Cette mesure peut être ordonnée pour une durée qui ne peut excéder un mois, sauf prolongation décidée par le conseil pour une durée qui ne peut excéder trois mois. Le président en informe sans délai le conseil.
La suspension ne peut être prononcée sans que les griefs aient été communiqués à l'intéressé, qu'il ait été mis à même de prendre connaissance du dossier et qu'il ait été entendu ou dûment appelé par le président du conseil » ;
Vu le recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, approuvé par arrêté du 21 février 2012 et publié au Journal Officiel de la République Française du 29 février 2012 ;
Vu le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et notamment ses art. 3 et 45 ;
Vu le courriel du Conseil des ventes volontaires, en date du 9 novembre 2020, convoquant l’OVV Christie’s pour être entendu à la séance tenue le vendredi 13 novembre 2020 à 10h30 par le président du Conseil des ventes volontaires, complété par les courriels des 12 et 13 novembre ;
Vu le mémoire de Christie’s et les pièces adressées au Conseil des ventes par courriel distinct en date des 12 et 13 novembre, notamment le compte rendu de la 3ème réunion relative à la sécurisation de la Vente des Vins du domaine des Hospices civils de Beaune le dimanche 15 novembre 2020 établi par Madame Myriel Porteus, Sous-préfète de Beaune et tenue le 4 novembre ;
Vu les pièces du dossier ;
Les griefs retenus à l’encontre de l’OVV Christie’s et les éléments du dossier lui ayant été préalablement communiqués ;
Madame le commissaire du Gouvernement entendue ;
La séance de suspension tenue par le président du Conseil des ventes volontaires le vendredi 13 novembre 2020 à 10h30 par visioconférence, en présence de l’OVV Christie’s pris en la personne de ses gérants Madame Cécile Verdier et Monsieur Julien Pradels, et de Madame Aline Sylla-Valbaum directrice générale, assistés de leur avocat Maître Anne-Sophie Nardon et de Monsieur Pierre Taugourdeau, directeur juridique du Conseil des ventes volontaires faisant fonction de secrétaire de séance ;
La parole ayant été donnée en dernier à l’OVV Christie’s et à son avocat ;
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Sur la procédure
L’opérateur des ventes volontaires Christie’s soulève l’irrecevabilité de la convocation, fondée sur l’absence de saisine, préalablement à la requête, du commissaire du Gouvernement, en violation des dispositions des articles L. 321-22 et R. 321-45 du code de commerce ;
Le pouvoir de suspension dans l’urgence et à titre conservatoire est un pouvoir propre du Président du Conseil des ventes, qu’il tient des alinéas 8 à 10 de l’article L. 321-22 du code de commerce. La procédure disciplinaire et la procédure de suspension sont clairement distinctes : la procédure d’urgence, ne peut donner lieu qu’à suspension temporaire d’exercice de l’activité et ne s’apparente en rien à la procédure disciplinaire qui donne éventuellement lieu à sanction. Les dispositions applicables à la procédure disciplinaire invoquées par l’opérateur ne sont en conséquence pas applicables à la procédure de suspension dans l’urgence, et il convient à cet égard de relever qu’il ne résulte d’aucun texte que le Président du Conseil des ventes ne puisse intervenir que sur requête du commissaire du Gouvernement ;
Sur les modalités d’organisation de la vente
L’OVV Christie’s est chargé, par contrat avec le centre hospitalier de Beaune, de l’organisation de la vente aux enchères publiques des vins des Hospices de Beaune prévue le 15 novembre, dont le produit sera versé au centre hospitalier, au Comité de gestion des oeuvres sociales des établissements hospitaliers publics et à la Fédération hospitalière de France.
Cette vente est traditionnellement organisée dans la Halle de Beaune, où le public est accueilli. La pandémie de Covid 19 a cependant conduit l’OVV Christie’s à fixer des modalités d’organisation de la vente.
Ainsi, il ressort des pièces du dossier, notamment des articles publiés sur le site Info-Dijon le 5 novembre 2020, sur le site du Point du 10 novembre ou sur le site internet des Hospices de Beaune ainsi que du communiqué de presse conjoint aux Hospices et à la maison de ventes, en date du 3 novembre, et des dires des personnes entendues que l’organisation de la vente du 15 novembre 2020 prévoit l’accueil de deux cent cinquante personnes, principalement les acheteurs professionnels bourguignons du négoce de vin, dans la Halle de Beaune où se déroulera la vente ;
Ces modalités spécifiques sont directement contraires aux mesures de confinement qui découlent du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui, en son article 45, a interdit aux salles des ventes, classés en établissements recevant du public (ERP) de type L, de recevoir du public, sans prévoir de dérogation ;
Le compte-rendu de la réunion du 4 novembre qui entérine le maintien de la vente à l’exception d’autres évènements annulés, en fondant ce maintien sur le fait qu’il s’agirait d’un évènement « à caractère strictement professionnel », autorisé par l’art.3 du décret susvisé, ne saurait à cet égard être assimilé à une dérogation explicite que l’opérateur reconnaît en séance n’avoir pu obtenir ;
Ainsi, les modalités d’organisation de la vente ainsi définies sont contraires au décret précité et s’écartent en tout état de cause de la règle qui s’impose pendant la période d’urgence sanitaire à l’ensemble des opérateurs pour toutes les ventes publiques qu’ils organisent.
Au surplus, l’exclusivité de présence physique à la vente accordée aux professionnels négociants contraint les particuliers et les enchérisseurs étrangers à participer aux enchères par la seule voie numérique, l’annonce de la vente sur le site des hospices précisant à cet égard que « l’accès au grand public ne sera pas autorisé ».
Elles introduisent une rupture d’égalité avec les autres opérateurs qui rend impossible la tâche du régulateur en charge de faire respecter la règle commune.
Elles emportent d’autre part, une sélection des personnes admises à être présentes sur le lieu de vente pour participer aux enchères, au regard d’un critère défini de manière purement subjective par l’opérateur lui-même qui privilégie une catégorie d’acheteurs, les négociants « professionnels » locaux, et sont manifestement contraires au principe d’ouverture à tout public des ventes aux enchères publiques, qui procède notamment des dispositions de l’article L. 320-2 du code de commerce qui dispose que « Constituent des ventes aux enchères publiques les ventes faisant intervenir un tiers, agissant comme mandataire du propriétaire ou de son représentant, pour proposer et adjuger un bien au mieux-disant des enchérisseurs à l'issue d'un procédé de mise en concurrence ouvert au public et transparent. Le mieux-disant des enchérisseurs acquiert le bien adjugé à son profit ; il est tenu d'en payer le prix. / Sauf dispositions particulières et le cas des ventes effectuées dans le cercle purement privé, ces ventes sont ouvertes à toute personne pouvant enchérir et aucune entrave ne peut être portée à la liberté des enchères » et de l’article 1.7.4. du Recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires qui dispose en son dernier alinéa que « L'opérateur de ventes volontaires assure le libre accès de la vente au public ».
Fixant des conditions de participation aux enchères différentes selon les enchérisseurs, elles ne permettent en outre pas à l’opérateur de ventes volontaires de garantir une égalité de traitement entre les enchérisseurs, en violation des dispositions du 4ème alinéa de la 1ère partie du Recueil susvisé consacrée aux devoirs généraux qui dispose que « Le commissaire-priseur de ventes volontaires est tenu à un devoir d'impartialité entre les différents enchérisseurs » et de l’article 2.2. du même Recueil, consacré à la direction de la vente qui prévoit que « Il dirige la vente en veillant à la liberté des enchères et à l'égalité entre l'ensemble des enchérisseurs », égalité que seuls l’ouverture de la Halle de Beaune à tous types d’enchérisseurs sans distinction – qui n’est pas possible en raison de l’état d’urgence sanitaire - , ou l’obligation faite à tous d’enchérir par voie numérique permettrait de garantir.
Un tel processus d’enchères, irrégulier dans son principe, et distinguant les enchérisseurs en fonction de critères dont la définition relève du seul choix de l’opérateur de ventes volontaires et qui privilégie une catégorie d’acheteurs serait propre à violer la légalité et les principes d’équité et d’impartialité des ventes aux enchères publiques qu’il y a lieu de sauvegarder ;
Vu l’urgence et à titre conservatoire ;
DECIDE :
Article 1er :
Le moyen tiré de l’irrecevabilité de la convocation est rejeté ;
Article 2 :
La vente des vins des Hospices de Beaune programmée le dimanche 15 novembre 2020 dans la Halle de Beaune est suspendue en ce qu’elle viole le décret du 29 octobre 2020, et en ce qu’elle fixe des conditions de participation différentes aux enchères selon les catégories de personnes.
Article 3 :
La présente décision sera notifiée aux parties par courriel et courrier recommandé avec demande d’avis de réception.
Article 4 :
Le Commissaire du Gouvernement auprès du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques seront informés sans délai de la présente décision.
Fait à Paris le 13 novembre 2020
Henri PAUL
Président