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Depuis la crise du COVID-19, la digitalisation du marché de l’art a connu une accélération sans précédent, ouvrant la voie à un accès à l’art plus simple et plus internationalisé. Dans ce contexte, comment l’émergence de jeunes acheteurs connectés participe-t-elle au changement des pratiques d’achats et de la physionomie du marché ? 

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Les baskets emblématiques de Michael Jordan - 1,5M$ - Adjugées en octobre 2021 par Sotheby’s Las Vegas.

Cela pourrait s’apparenter à une course aux jeunes acheteurs, entendons par « jeunes » les milléniaux ou génération Y (nés entre 1984 et 1997) et la génération Z (nés après 1997). Selon le rapport UBS-Art Basel sur le marché de l’art 2022, les dépenses des sondés (2339 collectionneurs fortunés dans le monde) dans les catégories beaux-arts, art décoratif et antiquités sont passées de 126 000 dollars en moyenne par collectionneur en 2020 à 276 000 dollars en 2021. À l’intérieur de ce panel, la génération Y a acheté le plus grand nombre d’œuvres en 2021 (12 en moyenne) pour un prix moyen par œuvre de 91 000 dollars (contre 105 000 dollars pour les boomers, valeur la plus élevée mais avec moins d’œuvres achetées). Quant à la génération Z, elle a significativement augmenté son volume d’achat. Le potentiel des jeunes collectionneurs milliardaires a été mis en lumière par deux événements de l’histoire récente : l’adjudication record le 18 mai 2017 chez Sotheby’s New York d’un tableau de Basquiat pour 110,5 millions de dollars au Japonais Yusaku Maezawa, alors âgé de 41 ans, et celle, à hauteur de 69 millions de dollars de Beeple, collage numérique sous forme de NFT (jetons non fongibles), chez Christie’s New York le 11 mars 2021, dont plus de la moitié des enchérisseurs étaient des milléniaux. Cependant, selon une étude KPMG, seuls 8 % des Français détiennent des actifs numériques et si 46 % ont effectivement moins de 35 ans, l’effondrement des cryptoactifs fin 2022 ne permet plus de prédire l’avenir. Ce constat sur les jeunes acheteurs au fort pouvoir d’achat ne concerne certes qu’une tranche resserrée du marché, néanmoins, il fait écho à la frénésie d’achat et au désir précoce pour la collection qui anime plus largement les jeunes générations.

Forte présence en ligne

Selon une étude Harris Interactive d’avril 2022 pour le Conseil des ventes, les ventes en ligne des maisons de ventes aux enchères en France ont cumulé un peu plus de 3 milliards d’euros en 2021, soit une hausse de 53 % par rapport à 2020, ce qui équivaut à 75 % du montant total des ventes aux enchères. Cette forte poussée a bénéficié de l’arrivée de jeunes acheteurs comme en témoigne le rapport Hiscox sur le marché de l’art en ligne de 2021 révélant que 69 % des acheteurs d’art de moins de 35 ans avaient acheté de l’art en ligne, tandis que 87 % d’entre eux déclaraient utiliser Instagram « pour tout ce qui a trait à l’art », la plateforme étant devenue le « nouveau bouche-à-oreille du secteur » selon Salomé Pirson, commissaire-priseur chez Maurice Auction. Par ailleurs, la moitié de ces jeunes acheteurs confiait choisir une plateforme plutôt qu’une autre en fonction de son originalité. « Je regarde toutes les plateformes mais je suis séduite par les sélections thématiques qui permettent d’aller plus vite et je privilégie les modes de livraison éco-responsables », explique Daphné, 22 ans, étudiante en école de mode qui achète régulièrement des bijoux vintage. Un point qui alimente le fait que depuis deux ans, les maisons de ventes redoublent d’effort pour organiser des ventes online thématiques, voire curatées, concurrencées par les plateformes d’enchères non régulées et déclarées auprès du Conseil des ventes. En effet, ces dernières se félicitent d’attirer des acheteurs plus jeunes, telle Catawiki qui déclare 50 % de nouveaux utilisateurs en 2021, soulignant que la tranche des 18-24 ans représente désormais un quart de ses utilisateurs. Dans le même temps, elle n’hésite pas à organiser des enchères curatées intitulées « Vente d’art contemporain pour la génération Y ». Dans cet écosystème, seulement 62 % des maisons de ventes françaises ont un ou plusieurs comptes sur les réseaux sociaux. Ce qui n’empêche pas les enchères en ligne (live et online) de croître. En 2022, Interencheres a enregistré 54,7 % de ses clients Live et 57,83 % de ses clients Online dans la tranche des 18-44 ans et drouot.com compte 56 % de clients de moins de 40 ans. Christie’s, elle, enregistre en France près d’un quart de nouveaux clients dont un tiers a moins de 40 ans tandis que sur l’ensemble de son activité elle précise que la génération Y représente 34 % de ses nouveaux acheteurs (contre 31 % en 2021), dont 65 % entrent via les ventes en ligne. « L’amélioration de la portée numérique de Christie’s a été complétée par une offre plus diversifiée d’artistes à travers nos ventes 20/21, le retour des "Lates" à Londres qui attirent une nouvelle génération de collectionneurs, sur TikTok, WeChat, Red et Instagram » indique la maison de ventes. 

Le boom du luxe et du vintage 

Les jeunes acheteurs sont en quête de sens et ne veulent plus acheter du neuf. Ainsi, ils font flamber aux enchères les objets vintages et de seconde main. Chez Drouot, les catégories arrivant en tête pour les moins de 40 ans sont les tableaux, les arts d’Asie, les bijoux, la mode et le vintage. Même credo chez Christie’s où, à côté de l’art contemporain d’après-guerre et asiatique, les montres et les sacs à main de luxe sont en pleine croissance grâce à la génération Y « très à l’aise pour dépenser pour des articles de luxe de seconde main en ligne entre 5 000 et 10 000 euros, et jusqu’à plus de 20 000 euros pour un petit Kelly ou un petit Birkin de chez Hermès » détaille Lucile Andreani, chef du département sacs à main et accessoires chez Christie’s Paris. Dans ces catégories, les milléniaux représentent 30 % des acheteurs dont les dépenses ont augmenté de 127 % au cours des cinq dernières années. « Beaucoup de jeunes ont découvert les enchères pendant le confinement » abonde Salomé Pirson, « nos ventes online de vintage marchent très bien auprès des jeunes acheteurs, notamment le panier à moins de 500 euros constitués de multiples. Aujourd’hui, pour toucher les jeunes, il ne faut plus dire “vintage” mais “prelove“ ce qui inclut les rééditions de marques de luxe telles Schiaparelli, Jean-Paul Gaultier ou Courrèges qui les intéressent beaucoup. » De son côté, Rémi Gerbeau, 39 ans, passionné de mobilier vintage, remarque l’intérêt nouveau pour les années 80 notamment chez les moins de 35 ans : « Depuis deux ans, les pièces des années 80 ont beaucoup augmenté, tendance renforcée par une génération de jeunes marchands qui redécouvrent cette période et plus récemment par l’exposition du musée des Arts Décoratifs Années 80. Mode, Design et Graphisme en France. On voit aussi apparaître une nouvelle culture de la collection qui infuse très tôt dans l’esprit des jeunes, phénomène auquel font d’ailleurs écho les récentes ventes aux enchères de grandes collections. » Le vintage devrait donc avoir de beaux jours devant lui comme le reflète la vente de la collection de Didier Ludot du 26 janvier 2023 chez Artcurial (en collaboration avec Christie’s) qui a totalisé 1 047 539 euros, le meilleur résultat pour la vente d’une collection de couture vintage en France. 

Art contemporain, entre frénésie et engagement

L’art contemporain séduit toujours plus les jeunes générations. Cependant, deux typologies peuvent être identifiées. « Il y a d’un côté ceux qui sont proches d’un système médiatisé soumis à une certaine spéculation et avides de numérisation. Ils gagnent bien leur vie et achètent autant par passion que par spéculation et recherchent la reconnaissance sociale. Ceux-là s’assurent car ils envisagent l’art comme un actif financier », observe Frédéric de Clercq, agent général AXA, référent Art, ajoutant : « Je n’ai jamais autant assuré de jeunes collectionneurs que pendant la pandémie. » La deuxième catégorie, moins argentée et moins hyperconnectée, recherche la découverte et l’échange avec les artistes. Elle gravite autour des nouvelles galeries d’art, comme celle créée par Lara Sedbon en 2019 qui défend la scène émergente : « Les jeunes acheteurs constituent environ 45 % de ma clientèle et beaucoup effectuent chez moi leur premier achat » explique-t-elle, soulignant que l’image de la galerie est moins élitiste qu’avant, grâce aux réseaux sociaux. Constat similaire pour Annabelle Cohen-Boulakia, 25 ans, qui a créé en 2021 Millenn’art, galerie doublée d’un club d’art contemporain qui rassemble déjà une centaine de membres, majoritairement des primo-acheteurs d’une moyenne d’âge de 28 ans, issus de la finance et des nouvelles technologies : « C’est un club convivial qui vise à faire tomber les barrières du marché de l’art. Parmi ses membres, 25 % ont l’ambition de commencer une collection d’art contemporain. » Comme Inès, avocate de 29 ans, qui a acheté cinq œuvres de 1 000 euros en moyenne et qui vient de s’offrir une photographie plus chère de Malick Sidibé. Des embellies de l’art contemporain à la nouvelle dynamique du vintage, les jeunes générations d’acheteurs détiennent les clefs d’un nouveau marché qui tente de concilier désir accru de collection et numérique responsable.

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Par : Julie Chaizemartin - Focus extrait du Bilan des enchères 2022 édité par Beaux-arts et le CVV.

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